Le photographe Knapp

Publié le par Mouton Fou Le Grand

Knapp, objectif femme

Peter Knapp, la passion des images. Jusqu'au 30 mars. Maison européenne de la photographie.

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Peter Knapp se caractérise par son sens des images choc.

Combien de créateurs ont-ils véritablement changé notre regard sur le monde ? Peter Knapp fait partie de ce cercle étroit. Il est actuellement l'objet d'une mini-rétrospective à la Maison européenne de la photographie - comme une légère allusion à son talent. Dommage. Il mériterait beaucoup plus. Mais un livre qui paraît au même moment aux éditions du Chêne (1) répare l'injustice. A vingt-huit ans, le Suisse Peter Knapp a été propulsé à la direction artistique du journal « Elle ». C'était en 1959. « C'était une folie », raconte le photographe qui a aujourd'hui soixante-treize ans. « A l'époque «Elle» était un journal de société destiné aux femmes, non un journal de mode. Il était dirigé par Hélène Lazareff. Pendant la guerre, elle avait résidé à New York. Elle avait travaillé au «Harper's Bazaar» et, à son retour à Paris, voulait s'en inspirer. Elle m'a demandé d'inventer. » C'est ce qu'il fait.

De ses études artistiques, il a d'abord retenu l'enseignement du Bauhaus, ce mouvement artistique allemand des années 1920, dont il énonce un des principes : « Si la fonction est à son mieux, la forme est la meilleure. » Et il l'emploie dans la mise en page comme dans les photos qu'il réalise pour ce magazine. Il présidera au style de la publication de 1959 à 1966 et de nouveau en 1974 jusqu'à 1977. Parallèlement, à la télévision, il participe en 42 films au programme très avant-gardiste « Dim Dam Dom » consacré à l'actualité de la culture et de la mode, dirigé par Daisy de Galard. « Cette émission, c'était le poil à gratter de la télévision de l'époque. » (Le programme est projeté chaque week-end à la Maison européenne de la photographie).

Dans l'hebdomadaire comme sur le petit écran ou encore dans sa complicité avec certains créateurs comme Courrèges, Peter Knapp exprime un sens des images choc qui bouleverse l'esthétique et donc change notre regard sur l'univers féminin. Quand on lui pose par exemple la question de ses meilleurs souvenirs pour Dim Dam Dom, il raconte des choses qu'on n'oserait pas imaginer aujourd'hui sur une de nos chaînes. « La séquence cils, c'était la vision en gros plan d'un mannequin qui collait un à un des faux cils tout en récitant à haute voix un manuel de jardinage », dit-il en riant. « Le «tennis look», c'était un monde complètement rayé. On pouvait aussi filmer une bouche peinte de rouge à lèvres vif en gros plan en train de manger des spaghettis. Il fallait idéaliser pour donner un modèle, pour susciter l'envie. »

L'avènement de la liberté

Pour évoquer les nouvelles formes de la mode, Peter Knapp va souligner dans ses images le comportement libre des femmes. « Courrèges avait dessiné des jupes courtes pour que les femmes puissent monter dans une voiture. Et puis si une robe était bien faite elle ne nécessitait pas qu'elles portent un soutien-gorge. Ces nouveaux vêtements apportaient la liberté, celle que nous photographions. » Chez Knapp les femmes rient, gesticulent, fument, sautent, dorment dans l'herbe dans la plus chic des tenues et portent des couleurs vives et des vêtements aux formes graphiques. S'il ne commentait pas on ne le saurait pas : cette image qui montre un buste qui se termine par une main en très gros plan, hyperstylisée, illustre l'apparition du premier soutien-gorge souple.

Mais les temps changent. « Quand sont venues les chemises hippies, je ne comprenais plus rien et je n'avais plus envie de faire de la photo de mode. La mode hippie c'était un retour des robes de ma grand-mère. Cette information-là ne m'intéressait pas. » Et puis l'idéalisation de la femme a pris d'autres formes. « Aujourd'hui, Madonna est prise en pantoufles en train d'acheter des poireaux. Il suffit d'être là. Et c'est cette photo qui va passer en grand dans les journaux. Ce genre ne m'intéresse pas. Je ne vois plus dans «Vogue» ou «Elle» des images qui me donnent de nouveau envie de faire de la photo de mode. » Il évoque aussi des couturiers disparus menés par une certaine vision : « Plus de Balenciaga, Courrèges, Chanel. Aujourd'hui on fait du court et du long à la fois pour ne pas rater une vente. »

Alors Peter Knapp abandonne la femme, le glamour, la mode pour des travaux plus personnels. Il travaille sur des séries quelquefois pendant dix ans. Le ciel, des formes humaines qui se dessinent par hasard dans la nature, les drapeaux aux formes tourmentées par le vent, les reflets... L'exposition montre quelques extraits de ses recherches qui sont peu valorisées dans cet accrochage zapping. Mais Peter Knapp continue à sourire en portant son regard vif et curieux sur le monde.

Publié dans Le luxe

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