Olympe de Gouges, une femme du XXIe siècle

Publié le par Mouton Fou Le Grand

Olympe de Gouges, une femme du XXIe siècle

Les disparues de l’histoire

Qui, en France, connaît l’auteure de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne parue le 14 septembre 1791 ? Une présidentiable en quête de voix féminines lors de l’élection de 2007 ? La poignée de féministes et les quelques historiens et historiennes qui rêvent de faire entrer au Panthéon une femme de lettres proprement révolutionnaire ? N’a-t-elle pas su proclamer et appliquer, elle-même, le principe : « La femme a droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune » (article X) ? Ce passage, le plus cité de tous les écrits d’Olympe de Gouges, a un accent dramatique qui plaît d’autant plus que le reste de la Déclaration se contente de corriger, en le féminisant, le texte de 1789. Donner — concrètement et non dans l’abstrait — tous les droits à tous, y compris à un « sexe supérieur en beauté et en courage », c’était penser autrement, c’est-à-dire avec force et humour, l’ensemble des rapports sociaux et s’inscrire ainsi dans un débat européen sur l’égalité véritable, débat ouvert par les Lumières et qui est encore d’actualité.

Longtemps ignorée (quelques extraits sont publiés en 1840, mais la première version complète est éditée par Benoîte Groult en 1986), la Déclaration signée (et donc pleinement assumée) par de Gouges est dédiée à la reine.

Cette brochure semble être passée inaperçue en son temps, contrairement à la Vindication of the Rights of Women, de Mary Wollstonecraft, traduite dès 1792 et bien moins radicale dans sa forme. Cette publication précède de deux ans la mort sur l’échafaud de de Gouges, pour fédéralisme et antirobespierrisme, le 3 novembre 1793.

Réédité sous une forme souvent tronquée, ce document tend à faire de Marie Gouze, veuve Aubry, dite Olympe de Gouges, une icône internationale du féminisme. Cependant, cette renommée, qu’ignore encore largement l’Hexagone, reste partielle. Quand elle est connue, la fin tragique de la seconde guillotinée de l’histoire de France (Marie-Antoinette l’a devancée de peu) a éclipsé les autres titres de gloire d’une femme au destin transgressif : fille non reconnue d’un père aristocrate et de la belle épouse d’un boucher de Montauban, Occitane montée à Paris après un veuvage précoce, romancière autobiographe et écrivaine de théâtre malmenée, cette antiesclavagiste notoire fut une pamphlétaire novatrice qui sut répandre ses idées par des affiches et par voie de presse : abolir la traite négrière, réformer l’impôt et la Constitution, sauver la tête des monarques, donner à toutes et à tous le droit au divorce et à l’éducation, etc.

De ses multiples combats, on a surtout retenu ses attaques frontales en faveur des femmes. Puisque « la femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits » (Déclaration, article I), « la loi doit être l’expression de la volonté générale ; toutes les citoyennes et tous les citoyens doivent concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation ; elle doit être la même pour tous : toutes les citoyennes et tous les citoyens étant égaux à ses yeux, doivent être également admissibles à toutes les dignités, places et emplois publics, selon leurs capacités, et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents » (art. VI).

Sa vie et ses idées sont désormais bien connues grâce au travail d’Olivier Blanc et à plusieurs rééditions de ses pièces de théâtre et d’autres textes (Côté-femmes, Mille et une nuits, Cocagne). Des travaux universitaires récents projettent une lumière de plus en plus nuancée sur une œuvre singulière (Joan Scott, Eléni Varikas, Christine Fauré, Gabrielle Verdier, Catherine Masson, etc).

Mais les aléas de la notoriété posthume de de Gouges, y compris comme féministe, méritent attention car ils posent la question plus générale des innombrables (semi-) oubliées de l’histoire. Pour avoir pris la parole et fait la preuve de talents jugés masculins, celles-ci passèrent, en leur temps, pour des « femmes-hommes » et des viragos. Cette célébrité première, accrue souvent par des situations qui les rendaient socialement et financièrement vulnérables, a englouti ou marginalisé ces femmes, quand elle ne les a pas métamorphosées en harpies et/ou en martyres.

George Sand n’a pas échappé, non plus que Mme Roland, à ce type de défiguration, à la fois physique et morale. Quant à leurs consœurs écrivaines, féministes ou non, elles ont attendu longtemps avant de reconnaître l’apport de de Gouges à la réflexion politique en général et à la cause des minoritaires (femmes ou esclaves) en particulier. Flora Tristan ne se dit-elle pas, en 1843 dans L’Union ouvrière, « la première qui a reconnu en principe les droits de la femme » ? Déni ou mépris des devancières ? On ne sait, mais les différentes vagues du féminisme ont connu des « oublis » analogues.

La misogynie des « découvreurs » récurrents de de Gouges a, au XIXe siècle, des accents féroces et stupides : « héroïque et folle » (les Goncourt), atteinte de « paranoïa reformataria » (un docteur Guillois), « une toquée dans ses mauvais jours, trop nombreux, ce fut une gâcheuse dans ses meilleurs » (Léopold Lacour), etc. Mais, en ce début du XXIe siècle, il serait fâcheux de voir se mettre en place une vision qui, pour être plus pondérée, n’en resterait pas moins biaisée et tronquée.

Activiste anomique des lettres françaises, de Gouges est inséparable de l’ensemble des débats de son temps et d’un monde violemment genré où les femmes font alors, sans le fard de l’anonymat, une percée remarquée et controversée. Au milieu d’écrivaines francophones talentueuses comme Isabelle de Charrière, Germaine de Staël, Stéphanie de Genlis, Constance Pipelet, Louise de Kéralio et beaucoup d’autres souvent oubliées, de Gouges est, selon Fortunée Briquet en 1804, une des « femmes les plus intéressantes de son temps ».

Publié dans Culture

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