Casse noisette

Publié le par Mouton Fou Le Grand

"Casse-Noisette", vertige érotique
 
Un détail, minuscule, presque imperceptible, signe la représentation, lundi 10 décembre, de Casse-Noisette chorégraphié par Rudolf Noureev sur la musique de Tchaïkovski. A la fin du spectacle, le vieux Drosselmeyer (le danseur étoile Jérémie Bélingard) quitte la maison de sa filleule Clara (Myriam Ould-Braham) avec un regard flou, comme étourdi par ce qu'il vient de vivre. En réalité, il ne lui est rien arrivé à ce boiteux borgne, sauf d'être le protagoniste principal du rêve de Clara, son jeune prince sexy et protecteur. Du songe à la réalité, le trouble de l'attirance secrète et inconsciente des deux héros se lit en douce.

 
Casse-Noisette, vertige érotique ? Dans la version mise en scène par Noureev en 1985, plutôt oui. Toujours prompt à enclencher le mode "psy" des grands ballets classiques, il a fait glisser ce conte de Noël souvent débordant de sucrerie vers le scénario initiatique. Une ado reçoit en cadeau de son parrain un joli casse-noisette, viril comme un soldat. Elle s'endort et s'émancipe dans les bras de son hussard dont les traits ressemblent étrangement à ceux de Drosselmeyer.

En choisissant de faire interpréter les deux rôles masculins par le même danseur (Bélingard aussi juste avec la perruque grise de Drosselmeyer que sans), Noureev a mis dans le mille. Exit la petite fille reine au pays des jouets et des bonbons. Bienvenue à la toute jeune femme qui se bat contre des rats griffus pour sauver son prince en leur donnant en pâture toutes ses poupées de chiffon.

CORBEAUX MONSTRUEUX

Le conflit entre l'enfance et l'âge adulte est au coeur de ce Casse-Noisette, plus proche du texte originel fantastique de l'écrivain allemand E. T. A. Hoffmann (1816) que de l'adaptation adoucie d'Alexandre Dumas (1845). Noirci jusqu'au cauchemar par ses peurs et ses pulsions inconscientes, le rêve de Clara prend l'allure d'une libération douloureuse. Libération de sa famille transformée en bande de corbeaux monstrueux, libération de sa gangue adolescente pour se métamorphoser en femme. Clara voit ses fantasmes lui exploser en pleine figure.

La mise en scène joue impeccablement de ce tiraillement. La bataille des soldats de plomb contre les rats est à la fois menaçante et ludique. La présence de nombreux enfants de l'Ecole de danse de l'Opéra de Paris sur le plateau donne au ballet son coefficient de jeunesse et de fraîcheur. Elle permet aussi d'avancer sur un fil entre enchantement et anxiété, fête des enfants et bal du temps qui passe, lumières de Noël et obscurité des désirs inavoués.

La sobriété évidemment somptueuse du décor, entre tapisserie bourgeoise sépia du XIXe siècle et parc désert sous une pluie de neige argentée, sert d'écrin à une très belle définition de l'amour, celui qui ouvre les bras encore et encore, pour protéger mais aussi prendre la vie d'assaut.


Casse-Noisette, de Rudolf Noureev, à l'Opéra-Bastille, Paris-12e. Tél. : 08-92-89-90-90. Jusqu'au 31 décembre, à 19 h 30. De 6 € à 80 €.

Publié dans Passion du Mouton Fou

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